Voici un ouvrage qui répondra à bien des questionnements.
Fruit de nombreuses années d'enseignement, il s'adresse, bien évidemment, aux étudiants en composition électroacoustique auxquels il rappellera, en les détaillant, les multiples techniques qu'ils doivent maîtriser pour parler couramment le langage acousmatique. Il offrira également aux musicologues de précieux outils d'analyse ainsi qu'au simple mélomane des clés d'écoute qui lui permettront d'entrer dans des œuvres restées pour lui, jusque-là, impénétrables.
Comment cela ?
En familiarisant l'oreille à la nature des matériologies utilisées et à l'intérêt de leurs variations dans la logique d'un discours cohérent. Mais aussi en révélant les moyens de leur réalisation technique. Sans être encore le fameux « Traité des organisations musicales » — véritable précis de composition que Pierre Schaeffer appelait de ses vœux et dont il disait « Je n'ai eu ni le temps ni le génie d'entreprendre pareil travail, dans un domaine où, par ailleurs, tout reste à faire. » — ce répertoire très complet inventorie, décrit, classe les multiples façons de produire et métamorphoser les phénomènes sonores qui, fixés suivant une organisation choisie sur un support physique — bande magnétique, CD, mémoire numérique, etc. — constitueront l'œuvre.
En 1967, Schaeffer concluait son Solfège de l'objet sonore — complément pédagogique de son fondamental Traité des objets musicaux — par cette recommandation : « Qu'on renonce aux syntaxes prématurées, lorsqu'un langage se cherche à travers ses mutations. Devinons-le à force de faire et d'entendre.».
Cet aphorisme prudent, sans être tout à fait obsolète un demi-siècle plus tard, a assurément perdu de sa pertinence car, depuis la fondatrice Musique concrète de Schaeffer, ont fleuri maintes études, hypothèses et propositions la concernant. Ce qui peut être désormais considéré comme une syntaxe a commencé à prendre forme.
Les Conduites d'écoute de François Delalande, la Musique acousmatique et les i-sons de François Bayle, les Sons fixés de Michel Chion, L'analyse fonctionnelle de Stéphane Roy et bien d'autres approches théoriques sont venues éclairer et nommer les mécanismes, fort énigmatiques à l'origine, de la « musique du son ».
Comme le conseillait Schaeffer, d'innombrables œuvres ont été faites et entendues, des procédures différentes élaborées qui offrent des mutations cumulatives ; parmi celles-ci, la modalité acousmatique où des processus récurrents confirment aujourd'hui les linéaments d'un langage. On constate ainsi que les musiques sur support possèdent leur écriture propre fondée sur des techniques spécifiques. Ce sont à la fois les fonctions musicales et les méthodes de réalisation pratique de ces techniques d'écriture qu'Annette Vande Gorne explore ici minutieusement.
L'attention accordée au musical et à des considérations prescriptives — au risque, assumé par l'auteure, de renoncer à la neutralité technicienne de ce genre d'ouvrage — y est manifeste et bienvenue : primauté du perceptif sur le préconçu technique. Elle constitue l'originalité de cette approche néanmoins didactique. On remarquera notamment l'importance donnée au geste énergétique comme source de musicalité ou à la spontanéité de l'improvisation « instrumentale », très créative pour la formation des séquences-jeux. Un répertoire de signifiants techniques, certes, mais visant des signifiés musicaux.
La division en quatre grands chapitres — Les modèles énergétiques, Les écritures par montage, Les écritures par mélange, Les écritures par transformation — dresse un bilan et répertorie de façon méthodique les moyens actuels de traitement du son à des fins créatives dont dispose le compositeur.
Assurément, pour abondants qu'ils soient, on ne peut les considérer comme exhaustifs compte tenu des apports constants de la technologie et de l'inventivité des créateurs ; néanmoins ils constituent une abondante palette de procédés d'écriture propres aux musiques sur support dont cet exposé représente aujourd'hui, à notre connaissance, la plus complète compilation.
Soulignons aussi la place importante consacrée à la fin du chapitre 4 au Jeu sur l'espace, qui témoigne de l'orientation résolument « acousmatique » de l'étude, modalité électroacoustique qui a notoirement contribué à faire du paramètre spatial un critère musical à part entière. La connaissance préalable de la terminologie et des concepts de Schaeffer (écoute réduite, objet sonore, typo-morphologie, etc.) et de François Bayle (musique acousmatique, images de son, rimage, saillance/prégnance, etc.) facilitera et approfondira la lecture ; mais elle n'est en aucun cas indispensable, les éclaircissements fournis par Annette Vande Gorne permettant d'accéder à toutes les descriptions.
Outre l'introduction à la création et à l'usage de procédés spécifiques on apprendra beaucoup sur le son, le temps musical, l'origine de termes particuliers. Un intérêt supplémentaire, corrélé à la découverte de ces techniques usuelles, est aussi l'immersion dans les propriétés intrinsèques du son et de ses éléments constitutifs, ce qui, en stimulant l'imagination du lecteur, lui suggère souvent la mise en œuvre de nouvelles mutations possibles, de nouveaux modes opératoires. Car il ne faut pas ignorer qu'il existe parfois diverses méthodes pour obtenir un même résultat et que les compositeurs privilégient souvent celles qu'ils ont eux-mêmes conçues. La production de l'effet recherché demeurant évidemment le seul critère pertinent.
Francis Dhomont
Avignon, octobre 2017