Ce chapitre est sans aucun doute le plus fondamental et original de ce traité. Il puise ses ressources chez Pierre Schaeffer (le vocabulaire descriptif des sons entendus), François Bayle (quelques notions qui caractérisent l'acousmatique) et Guy Reibel (la séquence-jeu, l'importance du geste).
Les énergies⚓
Le modèle énergétique permet d'être déjà dans un univers musical déterminé, basé pour la plupart sur des modèles physiques. C'est un archétype (notion fondamentale en conduite d'écoute acousmatique).
Il s'agit de réaliser une séquence faisant apparaître une idée musicale en rapport avec le modèle.
Présentation du programme de travail⚓
Il s'agit là d'un moyen, simple et efficace, de pénétrer immédiatement au cœur du musical,[*] par une relation expressive, personnelle au son, dans la continuité improvisée d'une séquence balisée par la mémoire, dans l'exploration et le jeu, orienté par une contrainte musicale, sur un ou plusieurs corps sonores, dans l'aller-retour constant entre le faire et l'entendre[*] , dans la relation main /oreille[*] , bref, dans cette relation si particulière d'un instrumentiste à son instrument.
Définition : Séquence-jeu et énergie
Les quatre paramètres du son de la musique acousmatique :
Non plus : hauteur, rythme, durée, timbre,
Mais : Énergie-mouvement, morphologie, espace, couleur (spectre)
IDEES-FORCES : Séquence-jeu et geste⚓
Au début, en rapport avec le Traité des Objets Musicaux, pour composer il manquait, dans la recherche de Schaeffer, la notion de séquence-jeu, qui reflète une évolution dans la jeune histoire des musiques électroacoustiques.
Jusqu'en 1966 : les objets sonores[*] (ceux de la perception, à ne pas confondre avec les corps sonores, ceux du jeu musical) permettent l'analyse descriptive.
On a alors constaté une frustration, un pensum.
En découle la nécessité de fabriquer une situation où l'invention puisse vraiment se développer et non fabriquer des unités de son différentes, les unes à côté des autres : "bazar" sonore (selon Guy Reibel)
L'importance du geste s'associant à l'invention musicale : L'action sonore n'est pas innocente, donc la meilleure forme en est la séquence
Les phénomènes musicaux sont placés dans un contexte, avec une progression d'un état à un autre.
La notion essentielle de jeu
Le geste matérialise l'intention musicale intérieure
Le geste devient source d'inspiration
les corps sonores : non plus camouflage des objets "bidules" mais imaginer de nouveaux dispositifs en évitant l'ambigüité des instruments traditionnels utilisés en dehors de leur meilleure capacité et non construits pour les énergies mises en œuvre, qui relèvent d'une pensée musicale différente.
Rappel :
Ce qui est intéressant, dans le cadre des séquences-jeu :
- les modèles naturels : la plupart relèvent de la physique des corps solides ou liquides. Ce sont des archétypes, une des notions inhérentes à la musique acousmatique.
- description des gestes en rapport avec les sons
Gestes continus
Gestes à caractère périodique (répétition à long terme)
Gestes à caractère répété
Gestes hésitants, équilibre (entre continu et autres)
Gestes globaux sur dispositif (rebonds, oscillations)
Les micros observent le résultat et y participent
- importance des gestes et du dispositif mis en place avec le(s) corps sonore(s) et sa relation avec le micro-loupe, enregistré et écouté à travers le casque porté par la personne qui improvise.
Le geste⚓
C'est la traduction de quelque chose de profond, d'intime, comme le jeu, décrit par Jean Piaget[*] d'un jeune enfant qui découvre intuitivement les multiples variations, notamment sonores, d'un jouet qu'il fait inlassablement tomber.
Le contact avec le corps sonore laisse apparaître alors une musicalité à la source, primitive et sensible, naturelle, et non une composition, qui est l'ordonnance formelle du sensible.
Conseil : Commentaire
S'impliquer, écouter avec tout le corps
Faire apparaître les racines, les comportements intimes corporels souvent dépassés, et éliminés par l'éducation, la vie
La répétition est un parti pris différent de la musique de l'instant, improvisée.
Être observateur, être agissant et agir par le phénomène sonore, la rétroaction de l'écoute ; le Faire et l'Entendre schaefférien.
Jouer de la surprise et de son originalité : si je suis (pré)déterminé, je ne découvre rien.
La musicalité vient du jeu gestuel
Ne pas se contenter d'observer les réactions d'un dispositif choisi.
Geste ouvert, pas trop en retrait
Méthode : Point de vue musical
Effort de localisation d'une idée musicale, la varier, la travailler pour elle-même, faire émerger l'invention du geste et de la mémoire.
Les séquences sont courtes (3, 4 minutes), sans forme déterminée.
On doit sentir l'implication mentale et gestuelle intéressante à écouter.
C'est ici que la démarche concrète prônée par Schaeffer prend tout son sens : ne rien prévoir, pas de plan préétabli (le « hors champs » de Xenakis) mais faire évoluer la séquence, par la mémoire de ce qui a déjà été réalisé, vers un futur incertain, en vivant intensément le moment présent.
Exemple : Exemples
Rapport entre résonance et geste modulant, rapport très instrumental
Geste le plus "primitif", proche du corps, dont la qualité détermine directement celle du son
Accumulation de corpuscules (à la limite du frottement appuyé)
Geste global, dominateur, minimal par rapport à la densité d’événements générés
Geste de déclenchement et observation
Geste qui relance et modifie
Modèle un peu semblable à l'oscillation par geste de déclenchement (les oscillations sont plus rapides et entre deux pôles, à vitesse constante, les rebonds jouent sur un seul pôle à vitesse progressive et peuvent être interrompus et relancés)
Geste minimal et progressif qui tient plus compte de l'écoute attentive (en zoom allant du global homogène au détail varié) que du geste lui-même.
Conséquence d'une force réelle ou simulée. Geste souvent en aller-retour.
Une chaîne acoustique ou plusieurs chaînes : gestes répétitifs
Geste répétitif, avec variations de vitesse. Geste volontaire.
Méthode : Point de vue technique
En commençant la formation par des séquences-jeux, on aborde le studio simplement, avec initiation à la prise de son (caractéristiques différentes des microphones et de leurs placements) et au montage (nettoyage simple).
Conseil : Méthode de travail
Choix du ou des corps sonores en fonction du modèle énergétique travaillé.
Attention au fait qu'un même corps sonore et surtout un même instrument musical peut, selon les gestes, produire des catégories énergétiques très différentes.
Par exemple, le piano peut générer à la fois : percussion-résonance, frottement, rebond, rotation, flux...
Choix du dispositif : relation entre la source et sa captation. Nombre de micros [mono, stéréo (quelle technique ?), multiphonique], distance fixe (micro(s) sur pieds) ou mobile (mouvement de la source ou mouvement microphonique).
L'écoute au casque, en direct, est indispensable. Si plusieurs intervenants sont nécessaires, ceux qui manipulent les corps sonores écoutent les sons au casque, écoute qui est très différente de l'écoute acoustique, grâce à « l'effet de loupe » du microphone.
Deux méthodes
1. Étude préalable des possibilités du dispositif puis enregistrement d'une ou plusieurs séquences. Réécoute et choix de la meilleure. Montage limité à l'élimination des défauts techniques.
2. Enregistrement en continu de tous les essais. Réécoute et choix des meilleurs moments assemblés ensuite par montage.