Le concept de création de Light Music

En 1983, il travaille avec le chorégraphe Wim Vandekeybus pour le projet Hands, un "work in progress" avec des danseurs où il expérimente la tension entre le geste et la musique. C'est à partir de là que naît pour lui la nécessité de noter le mouvement des mains. Il remarque que si les danseurs se souviennent de tout dans leurs corps, le compositeur doit noter sur le papier. Il recherche alors un système d'écriture pour le geste et invente une notation pour les deux mains sur le modèle de la notation pour le piano.

En 1987, Thierry de Mey décide d'écrire avec ce système un petit ballet pour mains dans une forme classique : une suite de danses qu'il intitule Musique de tables. Il réutilise la double portée de Hands mais intègre beaucoup plus de précisions comme l'emplacement de départ d'une main, la position d'une paume, l'immobilisation ou les retournements... chaque détail trouve son signe.

Il parle d'une « surface imaginaire » où les mains du percussionniste se détachent de l'instrument pour prolonger le geste dans le but de montrer sa beauté.

Les interprètes de Musique de Tables disent eux-mêmes qu'ils ne savent plus si ils sont des musiciens ou des danseurs de mains.

Musique de Tables, Thierry de Mey

En 2002, pendant le travail avec Anne Teresa de Keersmaeker sur April Suite (une suite de 4 pièces), il s'ennuie en observant les longues répétitions des musiciens et a l'idée de demander au chef d'orchestre de se tourner vers le public et de diriger sans musique. Plus tard, il invente de nouveaux codes pour décrire le mouvement des mains dans la verticalité, toujours sans la présence d'instrument. Les retours du public sont très positifs : « les gens trouvaient cela magique, ils entendaient des sons dans le silence ». Thierry de Mey se demande alors comment aller encore plus loin avec Silence Must Be!.

Il cherche à prolonger cette démarche avec les nouvelles technologies. Il est intéressant de noter que c'est l'imaginaire du compositeur qui a provoqué l'innovation technique et non pas l'inverse.

En 2004, il rencontre Christophe Lebreton qui travaille sur la captation du geste et la scène augmentée au GRAME - Centre National de Création Musicale ; et Jean Geoffroy, percussionniste et professeur au CNSMD à Lyon. Tous ensemble ils créent Light Music, musique de lumière et musique légère dont le dispositif est caché dans les coulisses. Ce "work in progress" en trio dure pendant six ans, la pièce n'ayant été finalisée qu'en 2010.

Jean Geoffroy, le musicien, et Christophe Lebreton, le technicien, testent et modifient l'instrument. Ils explorent les contraintes physiques et techniques. En parallèle, Thierry de Mey, le compositeur, continue à écrire et à modifier la pièce.

Light Music, Thierry de Mey

Pour créer le dispositif, Christophe Lebreton s'inspire de Hands, Musique de Tables, Silence Must Be !. Il choisit d'inventer un mur de lumière qui permet de rentrer dans la zone de captation (l'aire de jeu) et d'en sortir.

Le dispositif se compose d'une caméra, un écran, un ordinateur, des capteurs de mouvements, deux projecteurs de lumière, un mur de lumière, une table de mixage, huit haut-parleurs, quatre amplificateurs. Il fonctionne par association du processus de captation vidéo et d'analyse du jeu de l'instrumentiste grâce à la technique du mapping.

L'aire de jeu est une zone dans le mur de lumière constituée de douze rangés et neuf colonnes. Cette grille est mobile, elle propose des contraintes variables et change le fonctionnement de ses cases. Ces combinaisons créent un mode de jeu (il y en a onze au total).

Au début de l'écriture de Light Music, Thierry de Mey recherchait la virtuosité, mais le retard entre la captation et la réalisation sonore ne permet pas de faire des mouvements percussifs. Uniquement des mouvements lents, doux. Ainsi, le concept de départ d'une pièce très rythmée évolue et trouve sa poétique avec la projection lumineuse du mouvement. Si au début c'est l'imaginaire du compositeur qui a provoqué la création du dispositif, par la suite l'invention a influencé la création.

Thierry de Mey parle du danger de « démo-effet » des créations avec de nouvelles technologies, qui deviennent vite obsolètes. Il réaffirme la nécessité d'un discours artistique fort.

Un jour, par hasard, dans un train il lit une phrase dans le journal d'un passager en face: « Bisogna avere un caos dentro di se per generare una stella danzante » (« Il faut avoir un chaos à l'intérieur de soi pour enfanter une étoile qui danse » - une citation de Nietzsche) : il a trouvé le discours artistique de Light Music.

La structure sémantique de Light Music

La pièce est découpée en une introduction, cinq parties et une coda. Elle commence très lentement, avec très peu d'images et de sons. L'interprète nous fait rentrer sur la pointe des pieds dans un monde qui émerge petit à petit.

Seuls des gestes non-verbaux sont mis en jeu. Certains semblent spontanés, d'autres prennent un caractère thématique, ils créent des associations différentes, parfois très abstraites et intimes, parfois évoquant des éléments d'un univers commun à tout le monde (par exemple la mer).

Petit à petit, la scène se remplit avec ces gestes non-verbaux. Le discours se développe et devient plus dense jusqu'au climax, lorsque la lumière dévoile le corps du musicien. On sent la tension et le besoin d'un silence.

Cette tension est résolue après avec une phrase verbale – la citation de Nietzsche, mais donnée dans une langue de signes.

Ainsi, après la phase du niveau « méta-sémantique » et la sensation de « déjà vu » provoquée, le sens se formalise enfin en mots et devient clair, comme s'il s'agissait d'un souvenir.

Le discours de ce message est tellement fort, qu'il nécessite le retour vers l'intériorité, vers le monde de la subconscience sans formulation de concepts.

La composition est cyclique : l'attention du spectateur est placée de nouveau vers le monde intime.

Il est intéressant de remarquer le passage d'une intelligence linguistique à une intelligence des sens dans le domaine informatique. Avec des évolutions technologiques (la souris, l'écran, l'interface graphique), l'ordinateur ressemble de plus en plus à un être sensoriel, non pas seulement à un cerveau humain, mais à l'organisme tout entier.